Le terpnos logos est utilisé par le sophrologue pour réaliser le processus sophronique portant la persuasion, ce qui implique l’acceptation rationnelle du malade, au contraire de la suggestion. Caycedo a basé ses recherches sur les travaux d’historiens connus de l’Antiquité grecque, tels que Lain Entralgo, Dodds, Moulinier, Oniams.
Comme ces auteurs l’ont souligné, dans la Grèce d’Homère, le discours accompagne toujours le pansement des blessures : il est exhortation, consolation, incantation.
Les sophistes possédaient déjà une technique, assez rudimentaire il est vrai, de traitement par la parole.
C’est Platon qui, le premier, a codifié le processus psychothérapique de guérison par le Verbe. Dans L’Iliade, Homère nous raconte comment Patrocle soigne Eurypylos blessé par une flèche : « Patrocle … clans la baraque du brave Enrypylos, restait assis, le charmait par ses propos, et sur sa blessure douloureuse répandait les remèdes qui guérissent les noires douleurs. (Iliade, xv, 392-394).
Dans ce cas particulier, les paroles sont utilisées comme une simple exhortation et ne semblent pas avoir de contenu magique. Dans L’Odyssée, Homère nous relate comment Ulysse, chassant avec Autocolycos, est blessé à la jambe par un sanglier. Ses compagnons bandent la jambe blessée et arrêtent l’hémorragie au moyen d’une incantation ( Epôdè ).
Il y a donc dans le récit, comme l’a très justement souligné Lain Entralgo, deux parties : l’une, purement médicale, qui est le bandage de la jambe ; l’autre magique, l’arrêt de l’hémorragie par incantation. Le nom grec de celle-ci, épaoidè, épôdè, apparaît pour la première fois dans L’Odyssée. Le recours à des chants et à des incantations se poursuivra en Grèce jusqu’à l’époque de la christianisation. Les sophistes, pour leur part, codifieront la technique du discours persuasif. Antiphon transposera cette doctrine sur le plan médical et sera le premier à ouvrir une consultation que l’on pourrait appeler aujourd’hui « logothérapeutique ».
Voici ce qu’en dit Gorgias : « Au temps où il se consacrait à la poésie, Antiphon a créé un art permettant de guérir les chagrins de la même manière que celui dont les médecins se servent pour traiter les maladies : à Corinthe, près de !’Agora, il ouvrit un local portant une enseigne et s’y montra capable de soulager les affligés au moyen de discours. S,informant des causes de leurs maux, il soulageait et il consolait les malades. » C’est Platon qui, dans son dialogue du Charmide, va faire le pas décisif vers la rationalisation complète et jeter les bases d’une véritable psychothérapie verbale.
Dans ce dialogue, Socrate, de retour de la bataille de Potidée, accepte de soigner le jeune Charmide d’un mal de tête violent. Il connaît un remède actif ; il s’agit d’une certaine plante à laquelle il faut ajouter une épôdè, une incantation, afin d’obtenir l’effet curatif . « J’ai appris cela, dit Socrate, là-bas à l’armée, d’un médecin thrace, un disciple de Zalmoxis dont la science va, dit-on, jusqu’à rendre les gens immortels. Ce Thrace disait que les médecins grecs avaient raison de professer la doctrine que je viens de rapporter ; mais, ajouta-t-il, Zalmoxis, notre roi, qui est un dieu, affirme que s’il ne faut pas essayer de guérir les yeux sans la tête, ni la tête sans les yeux, il ne faut pas non plus traiter la tête sans l’âme, et que, si la plupart des maladies échappent aux médecins grecs, la raison en est qu’ils méconnaissent le tout dont ils devraient prendre soin ; car, quand le tout est en mauvais état, il est impossible que la partie se porte bien. Et en effet, disait-il, c’est de l’âme que viennent pour le corps et pour l’homme tout entier tous les maux et tous les biens ; ils en découlent comme ils découlent de la tête dans les yeux ; c’est donc l’âme qu’il faut tout d’abord et avant tout soigner si l’on veut que la tête et tout le corps soient en bon état. Or l’âme se soigne par des incantations » (Epodais Tisin) (Charmide, 156-157).
En quoi consistent celles-ci ?
Ces incantations, cher ami, ce sont les beaux discours », qui « engendrent la sagesse dans les âmes et, une fois qu’elle est formée et présente, il est facile de procurer la santé à la tête et au reste du corps » (Charmide). Charmide ne pourra livrer son âme à Socrate qu’à deux conditions : d’une part il est indispensable qu’il ait une confiance totale dans le logos calos (beau discours) de son médecin ; d’autre part, il devra effectivement donner quelque chose de lui-même pour permettre au thérapeute de connaître les particularités et l’état d’âme qui se livrent ainsi à lui. Tout le succès de cette thérapeutique dépend donc de la force du « transfert ». Et Platon explique comment le terpnos logos, parole douce, monotone, monocorde, également appelé logos calos, agit sur le thymos, état psychosomatique, en engendrant l’état sophrosynen, « état de calme, de concentration suprême de l’esprit, produit par les belles paroles » (Charmide).