La suggestion
Une idée peut être acceptée de deux façons différentes : soit après examen, parce qu’elle a paru parfaitement logique, ou au contraire sans examen parce qu’elle nous a été suggérée. La suggestion est le processus psychologique par lequel nous acceptons une idée sans qu’il y ait aucune raison logique de le faire. C’est donc un processus qui permet l’acceptation sans critique des idées. On appelle également suggestion l’idée qui est offerte au sujet pour être acceptée de manière non critique.
La suggestibilité
La suggestibilité est l’aptitude par laquelle un individu est capable d’accepter, en dehors de toute critique, des idées ou des faits, et sa tendance à les réaliser. Les faits ou les idées présentés sont, sans jugement aucun, reçus comme des vérités. Il est cer tain que la suggestion est d’autant plus puissante qu’elle s’adresse à l’inconscient de l’individu.
Nous subissons continuellement les assauts de la suggestion. Les techniques audio-visuelles dans notre vie journalière (les éditoriaux de nos quotidiens, le journal télévisé) nous suggèrent ce que nous devons penser de la politique gouvernementale. La publicité dans le métro, le cinéma, à la télévision, dans les journaux, nous fait acheter le meilleur dentifrice, le slip le plus confortable, le soutien-gorge le plus moulant et le plus esthétique. Les devantures des magasins sont agencées de manière à nous suggérer ce que nous devons acheter. La vue d’un bel objet provoque chez certains de l’admiration, chez d’autres de l’indifférence, chez un troisième l’envie de l’acheter, chez d’autres enfin le désir de le voler. Ainsi, le cerveau intervient chez chaque individu suivant sa personnalité, afin de transformer l’impression en idées, et pour élaborer celles-ci. Chaque idée suggère d’autres idées, et ces idées se transforment elles-mêmes en sensations, émotions, images diverses, aboutissant, comme le disait Bernheim, à « une synthèse suggestive » que chaque individu réalise à sa façon. Ainsi, nous ne pouvons échapper à cette action de la suggestion qui influence continuellement nos pensées, nos actions, et ce, la plupart du temps, à un niveau inconcient. Prenons un exemple simple : vous utilisez depuis longtemps une pâte dentifrice dont vous êtes satisfait. En vous rendant à votre travail dans le métro, vous admirez une très belle affiche : dents blanches, haleine fraîche… Vous allez au cinéma : pendant l’entracte, une ravissante jeune femme vous vante « dents blanches, haleine fraîche >. Vous ouvrez Jour de France ou Paris-Match : « Dents blanches, haleine fraiche »… Vous partez en voyage, et, à l’arrivée, vous constatez que votre tube dentifrice est vide. Le pharmacien chez lequel vous vous rendez n’a malheureusement pas en stock votre dentifrice habituel, mais il vous donne le choix entre différentes autres marques ; aussitôt surgit de votre inconscient « dents blanches, haleine fraîche » et vous finissez par acheter le dentifrice dont le mérite vous a été suggéré par les affiches, le cinéma, les publicités journalistiques, et peut-être les lignes qui précèdent… A l’étranger, la publicité à la télévision est insérée au milieu de programmes dont on sait qu’ils sont très suivis. Il y a un demi-siècle environ, Henry Ford récompensait largement tout écho présentant ses voitures comme de la camelote pour quincaillers. André Citroën lui-même le rejoignait sur ce point : « En bien ou en mal, l’important c’est qu’on en parle. » En France, M. Bleustein-Blanchet, éminent publiciste, a traité ces questions dans deux ouvrages remarquables intitulés La Persuasion insidieuse et La Rage de convaincre, titres qui se passent de tous commentaires. Certains publicistes on.t été très loin dans cc domaine, superposant en cours de projection du film, pendant une fraction de seconde, une inscription que le sujet pourra lire sans en avoir conscience, cc qui à notre avis constitue une atteinte grave an libre arbitre du spectateur.
Prenons un autre exemple, celui de la suggestion émotive. On sait, depuis longtemps, que certains états d’âme peuvent augmenter considérablement la suggestibilité des individus. Telles sont certaines émotions : foi religieuse, passion vive, amour, colère, haine ou entraînement par l’exemple dans certains groupes. Le sens critique altéré par la passion ou l’émotion ne peut plus écarter la suggestion passionnelle qui s’implante alors sans difficulté. Les meneurs de foule connaissent parfaitement la puissance de la suggestion, ils savent admirablement l’utiliser.
Pour les 90 p. 100 des sujets dont le cerveau est accessible à la suggestion émotionnelle, la senso-propagande est utilisée, basée sur la suggestion, manipulant essentiellement les pulsions agressives et visant à déclencher, suivant les circonstances, la peur, l’enthousiasme ou le délire extatique ou furieux. « Au moyen de symboles et d’actions agissant sur les sens, causant des émotions, on cherche à impressionner les masses, à terrifier l’ennemi, à éveiller l’agressivité de ses propres partisans. En plus des symboles graphiques, plastiques et sonores c’est surtout l’emploi de drapeaux, d’uniformes, de grandes manifestations, de défilés à grand fracas, qui caractérise la propagande de ce type employée par les dictatures. »
Comme l’a écrit Domenach :
« La propagande emprunte à la poésie la séduction du rythme, le prestige du verbe et jusqu’à la violence des images. Elle fait rêver le peuple aux grandeurs passées et aux lendemains meilleurs. » Notons au passage que les drapeaux et les étendards les plus utilisés sont le plus souvent de couleur rouge, ce qui s’explique par l’action excitante de cette couleur. On a pu constater, dans certaines usines de produits photographiques, que les ouvriers travaillant dans une ambiance colorée rouge devenaient irritables, colériques, très irascibles. La couleur rouge fut aban donnée au profit de la couleur verte et les troubles du comportement des ouvriers disparurent complètement. II est possible aussi, comme l’a noté de Felice, que « la vision du sang soit évoquée chez certains par la couleur rouge intense et éveille en eux des impulsions bestiales que la censure sociale avait refoulées, et qui les préparent à se livrer à des actes de violence.