L’empereur Chen Non et l’origine de la médecine traditionnelle chinoise

On ne saurait concevoir de progrès en médecine sans révisions cri­tiques ni changements profonds dans la théorie comme dans la prati­que.

En Chine, ces révisions n’ont pourtant pas eu pour conséquence l’élimination des recettes populaires ni l’abandon des principes fon­damentaux qui régissent la pharmacopée traditionnelle. C’est pour­quoi il est si important, si l’on veut comprendre l’exercice actuel de la médecine en Extrême-Orient, de remonter jusqu’aux origines. L’histoire de la pharmacologie constitue à ce titre la meilleure intro­duction à la thérapeutique (puisqu’aussi bien, médecine et pharmacie ont partie liée : les médecins préparaient eux-mêmes les drogues qu’ils administraient à leurs malades).
La tradition nous rapporte que le premier des herboristes fut l’Empereur légendaire Shen (Chen) Nong (le Divin Agriculteur). Il s’ap­pliqua à l’étude des plantes vénéneuses et sut discerner les contre­poisons. Il aurait testé cent espèces toxiques (il s’était si bien fami­liarisé avec les poisons qu’il n’en redoutait plus les effets) et sélec­tionné soixante-dix poisons végétaux.

Il classa trois cent soixante­ cinq drogues dans un herbier, avec les premières indications sur les propriétés des plantes. Il mérita ainsi le titre de « Roi des remèdes ». On l’honore du reste encore aujourd’hui dans les temples de la méde­cine.
Selon la légende, Chen Nong aurait en outre inventé les neuf aiguilles d’acupuncture. Il aurait donné la classification numérique des maladies et élaboré le système des cinq éléments (bois, feu, terre, métal, eau). En fait, ces théories classiques paraissent bien posté­rieures à Chen Nong.

Les textes varient suivant les écoles et ont été remaniés par les générations successives. Les plus anciens livres médicaux chinois, le Pe11-1s’ao k.i11g (livre classique traitant de la Materia Medica) et le NeHâng (livre classique traitant de l’Interne) sont l’expression d’écoles médicales qui se cachèrent sous des noms prestigieux d’empereurs légendaires (Chen Nong et Houang-ti), considérés comme les pères de la Médecine et les protecteurs de la santé.

A cette époque, la thérapeutique est diététique. Elle se fonde sur les règles de l’hygiène.
Les historiens font remonter la connaissance des Pen-ts’ao (plantes fondamentales) par extension, Materia Medica à la période des États Combattants. Ainsi, le célèbre Chen Nang pen-ts’ao, le plus ancien livre médical de l’Ex­trême-Orient attribué à l’Empereur légendaire Chen Nong, fut pro­bablement achevé, vers 140·87 avant J.-C., par un groupe de méde-cins anonymes.

Il semble bien, en effet, que le Chen Nong pen-ts’ao soit en grande partie une production du 1er siècle avant J .-C. Il correspond au niveau de connaissance des Han. D’autres indices permettent de le dater de cette époque: le papier fait à partir de fibres végétales et d’autre part, le terme Hou-ma, qui désigne le Sesamum indicum. Cette plante fut vraisemblablement introduite par l’explorateur Tchang K’ien (vers 126 avant J ,-·C .), qui alla à la rencontre des peuplades Hou.

Le Chen Nang pen-ts’ao décrit 365 remèdes dont 240 végétaux. Il est réparti en trois groupes :

1. Les drogues supérieures comprennent des remèdes fortifiants et non toxiques (Ginseng, Asparagus, Réglisse etc.) susceptibles d’être pris sans inconvénient pendant une longue durée.

2. Les drogues intermédiaires renferment des médicaments toniques (Pueraria, Trichosanthes, Sophora, Bupleurum, etc.) dont la toxicité dépend du dosage.

3. Les drogues inférieures comportent des agents thérapeutiques spécifiques de certaines maladies (Aconit, Pinellia, Rhubarbe, Dichroa, Jusquiame, etc.). Ils sont « toxiques » et ne peuvent être tolérés longtemps.
Le terme Pen-ts’ao (plantes fondamentales) n’apparaît que dans les commentaires des herbiers (vers 31 avant J.C.). Il est postérieur à Chen Nong et se réfère pour l’essentiel aux plantes utiles.
Les recettes de l’ Antiquité chinoise nous sont accessibles grâce aux découvertes archéologiques et aux textes médicaux classiques.

Le manuscrit original du Chen Nong pen-ts’ao est perdu, mais les gloses subsistent. Le Chen Nang pen-ts’ao a connu de nombreuses recensions jusqu’à la période mandchoue (1644-1911).
La Haute Antiquité chinoise est dominée par des souverains légendaires qui invitent le peuple à contribuer à l’œuvre d’intérêt public. Chen Nong, père de la pharmacologie, fut à l’origine de l’agriculture. L’invention de l’écriture revint à Fou Hi, auteur sup­posé des mutations. L’Empereur Jaune, Houang-ti, fut crédité de la divination, de la médecine et des rites. La légende se mêle à l’histoire sans qu’il soit possible de démêler la part de l’une ou de l’autre.
D’après le professeur Licou Kouo-kiun (1958), la prolo-écriture comprenait plus de deux mille cinq cents signes.

Le professeur Li T’ao (1959) y voit les fondements de l’histoire de la médecine chi­noise. Le déchiffrement des caractères chinois gravés sur des os d’animaux ou des écailles de tortues (XIII ou XIV siècle avant J.C.) nous éclaire sur l’évolution des pratiques médicales dans l’Antiquité.

 

L’expression Pen-ts’ao (plantes fondamentales) ou « herbier » est composée de deux caractères figuratifs. Le mot Pen est représenté par un arbre. li possède à sa base un trait suggérant une racine. Ce caractère a pris, par extension, le sens d’origine. Le terme ts’ao suggère l’aspect des herbes qui poussent ou des plantes herbacées.
Les Pen-ts’ao sont devenus des ouvrages traitant des produits de la Materia Medica.

 

Sous la dynastie des Chang, les cinq éléments auraient symbolisé l’offrande de l’univers à la subsistance de l’homme. Le millet et le blé tenaient la première place dans les manipulations des invocateurs et des magiciens. Les céréales se retrouvent dans tous les textes divi­natoires.