Théorie psychanalytique de l’hypnose

Pour les psychanalystes, l’hypnose est une régression pro­voquée qui met le sujet en situation transférentielle. (Le trans­fert  est  caractérisé  essentiellement,  comme nous le verrons par la suite,  par le report sur le médecin de sentiments qui ont été éprouvés dans le passé par le sujet.)

Ceci  pose  deux  pro­blèmes    :

1)   Comment peut-on provoquer cette régression ?

  • Comment peut-on caractériser  l’état hypnotique  ?
    • Comment peut-on provoquer cette régression ? Les psy­chanalystes estiment que l’on peut provoquer la régression essen­ tiellement par deux moyens : d’une part par des manipulations sensori-motrices, c’est-à-dire sans paroles. En effet, il faut se rap­ peler que pendant très longtemps, Mesmer et ses élèves indui­saient l’état hypnotique par des passes,  cette technique  d’induc­tion étant encore utilisée par certaines écoles,  en particulier par les Soviétiques.  On trouvera en effet dans   l’excellent  livre de Boule un paragraphe concernant les techniques d’induction non verbales par passes. Ces passes impliquent une manipulation sensori-motrice, c’est-à-dire qu’elles impliquent des modifications de l’état neuropsychologique central et déclenchent la transe. Autrement dit, la parole n’est absolument pas nécessaire pour déclencher un état hypnotique. Un des premiers hypnotiseurs réalisait  une hypnose  profonde  simplement  avec des passes dites « magnétiques » et Esdaile a réalisé toutes ses interventions chirurgicales en se servant d’une technique d’induction par passes.
  • Comment caractériser l’état hypnotique ?

Selon Kubie et Margolin, la régression se fait  par  un  mécanisme  d’identification  ; par  la  parole,  l’hypnotiseur  joue  un  rôle  dans  ce  transfert   au cours duquel le sujet régresse à un état comparable à celui d’un nourrisson ; l’hypnotiseur joue le rôle du personnage idéal, tout­ puissant – et il agit dans cette situation du  transfert,  parfois, comme un père tout-puissant ou comme une mère bonne et aimante. Les  psychanalystes  ont  distingué  les  hypnoses  autoritaires de type paternel et les hypnoses douces, de type maternel.  Si  un patient a un point de fixation plus facile au niveau de sa problé­ matique paternelle, il préférera un hypnotiseur du type paternel dominateur.  Un  autre préférera des méthodes du type maternel,  ce qui ne veut pas dire d’ailleurs qu’il ne réagira pas à une hypnose autoritaire.

Les techniques sensorimotrices ont été généralement aban­données parce qu’elles présentaient un rapport de corps à corps un peu plus  difficile,  qu’elles sont assez longues et enfin pour éviter des transferts profonds. L’état hypnoïde est une régression qui se caractérise ponr les psychanalystes par deux  facteurs  : d’une part elle est plus ou moins profonde, ce qui veut dire que, suivant les séances,  le sujet  se comportera comme un enfant plus ou moins grand, allant du nourrisson (hypnose profonde où la passivité est totale) jusqu’à l’enfant plus ou moins âgé, plus ou moins obéissant. Il y a donc des niveaux de régression, étant bien entendu que ces niveaux ne correspondent jamais à une assimilation totale du vécu antérieur. Cette régression est  en réalité une reviviscence.  D’autre part,  la régression  est   toujours plus ou moins complète car elle n’englobe jamais toute la personnalité du sujet. Par exemple, un sujet peut très bien faire une hypnose très profonde sur le plan psychomoteur ; il présentera une pas­sivité totale,  une résolution musculaire complète ; par contre, sa moralité restera au niveau adulte, ce qui fait qu’il sentira rapi­ dement si vous sortez de votre contrat. Si vous  essayez  de dépas­ ser ce que le sujet a décidé d’investir dans la relation,  à savoir se faire soigner,  et que vous lui suggérez quelqne chose qui  lui paraît  choquant,  contraire à son code moral,  vous  Je  ver.rez se réveiller rapidement, souvent avec  angoisse.  Cette régres­sion est un phénomène  très  complexe.  Ce  n’est  jamais  l’ensemble de la personnalité  du  sujet  qui  régresse  d’une manière  globale ; il faut donc la concevoir avec des niveaux et des structures. Elle est dominée enfin par une situation transférentielle;  ces réac­tions transférentielles sont aggravées : elles se passent  en  effet dans l’imaginaire avec des parents idéalisés (quand on parle d’identification, il ne s’agit pas d’identification aux parents réels) ; l’hypnotiseur est donc identifié à un père ou à une mère tout­ puissants, ce qui explique d’ailleurs, dans une certaine mesure, pourquoi il peut obtenir des régressions aussi importantes. La théorie psychanalytique rend compte de la position psychologique de l’hypnotisé, mais il est impossible d’expliquer par la régression l’anesthésie hypnotique.

Les psychanalystes insistent beaucoup sur la notion du con­trat entre l’hypnotiseur et )’hypnotisé. Il y a en effet une espèce de contrat tacite inconscient qui prélude à la relation hypnotique. Prenons par exemple le cas du dentiste:  dans le contrat,  le sujet et le dentiste auront décidé que l’hypnose serait utilisée dans un but extrêmement précis qui est celui d’obtenir l’analgesie.

Chacun des deux acteurs est tenu de respecter les clauses de ce contrat tacite.  Si le jeu  n’est  plus  honnête,  c’est  que l’un ou l’autre ne « joue » plus le contrat et l’on voit alors apparaître  des résistances, des complications. Si, au cours du même contrat d’analgésie, l’hypnotiseur essaie de s’attaquer à un symptôme pathologique, il rompt le contrat ; le sujet le sent immédiate­ment et installe rapidement une résistance secondaire.  Nous savons en effet que, dans les névroses, les symptômes sont des mécanismes d’équilibration ; un sujet s’équilibrera à son symptôme. Une petite névrose obsessionnelle, le sujet étant par exemple en proie à un doute obsédant, se traduira par de per­ pétuels contrôles et d’innombrables recommencements. Cette névrose obsessionnelle, qui le  rend  évidemment  très  anxieux, est en réalité  un mécanisme  de défense  qui lui permet  de vivre  et de ne pas tomber dans la psychose. Autrement dit,  cette  névrose est une défense contre une maladie mentale majeure. Il faut  donc être circonspect  et ne pas  s’attaquer  inconsidérément  à un symptôme qui,  en  disparaissant,  risque  d’être  remplacé  par un symptôme encore plus grave, le sujet risquant de se de­ structurer complètement  ;  ce  qui  est  heureusement  très  rare, car il est en réalité extrêmement difficile de faire disparaître un symptôme important qui  sert  de  mécanisme  d’équilibration. Cette éventualité est extrêmement rare, sinon pratiquement impossible, car le sujet dispose de mécanismes de défense suffisants pour son équilibration  psychologique,  ce qui fait que  la suggestion présentée  est rejetée.

Il faut toujours avoir présent  à  l’esprit  que  les  symptômes sont en quelque sorte l’expression de surface de graves conflits profonds inconscients. Ils ont donc une signification et une uti­lité majeures dans l’équilibration psychologique de l’individu, lui permettant de drainer en quelque sorte de l’énergie psy­chique qui serait autrement déchargée sous forme d’angoisse et d’anxiété. Rappelons-nous que Janet lui-même, à l’époque héroïque de l’hypnose, voulant s’attaquer uniquement aux symptômes pour les faire disparaître par suggestion, ne devait obtenir sur 3 500 malades traités, dont la très grande majorité étaient d’ailleurs hystériques, que 7% de résultats favo­rables.